jeudi 19 juin 2025

Sweeney Todd à l'Opéra National du Rhin: La vengeance du barbier de Fleet Street se déguste chaud avec délice

 Comment peut-on qualifier Sweeney Todd, l'oeuvre de Stephen Sondheim présentée actuellement à l'Opéra National du Rhin à Strasbourg ? On peut parler d'opéra, d'opérette, de comédie musicale, et de théâtre musical. De théâtre dans le théâtre même puisque la scène encadre une autre scène comme décor, représentant ce qui pourrait être un théâtre élisabéthain avec rideau rouge qui se lève. C'est d'ailleurs un peu de cela parce que la pièce commence curieusement par des sonorités d'orgue qui impulsent un ton gothique à l'ouverture, suivi d'une sonnerie un peu grêle de vieille salle de théâtre ou de sifflet d'usine. Et le rideau s'ouvre sur un choeur puissant, qui, comme dans une tragédie antique, nous conte l'histoire du retour du héros après une longue absence, sur fond de vengeance longuement murie.

 

Sweeny Todd - Stephen Sondheim - Opéra National du Rhin - Photo: Klara Beck


Cela continue comme une pièce de Shakespeare pleine de bruit et de fureur, puis s'engage dans une comédie musicale avec chanteurs sonorisés qui nous donnent une réelle impression de spectacle de Brodway - où la pièce a d'ailleurs été créée en 1979. Et tout au long, nous allons balancer entre une très belle variété de modes de jeu, avec grand orchestre, chansons populaires, récitatifs, leitmotivs, chants et duos, textes parlés et airs qui, lancés par un ou plusieurs interprètes sont repris en puissance par le choeur au complet. Qualifiant Sweeney Todd d'"opérette noire", Stephen Sondheim dit même que c'est un film conçu pour la scène. 


Sweeny Todd - Stephen Sondheim - Opéra National du Rhin - Photo: Klara Beck


Et cela en prend effectivement la forme, avec cette mise en scène qui fait penser à un studio de cinéma avec les "fonds de décors" qui sont des photographies "d'époque" et qui nous projettent dans une ville qui oscille entre le film noir et blanc et l'expressionisme de la ville des "temps modernes", avènement du capitalisme. Les autres éléments de décor - en l'occurrence la boutique de Mrs. Lovett et le salon de barbier qui la surplombe - procèdent de la même intention, réduits à l'essentiel et dont les déplacements (simulations de travelling et champs-contrechamps induits par ces déplacements sur roulette) apportent une dynamique de points de vue que les éclairages surlignent en intensité ou en concentration sur les détails et les focales. La musique d'une certaine manière prend cette même fonction, dynamique ou d'emphase, soulignant ou accompagnant, ou renforçant les sentiments ou les actions pendant le déroulé de la pièce.


Sweeny Todd - Stephen Sondheim - Opéra National du Rhin - Photo: Klara Beck


Elle peut-être très changeante, laissant s'étirer des airs ou les chansons, valorisant le personnage de Adolfo Pirelli et son numéro de bonimenteur de foire (Paul Curievici ténor vif et expressif, prenant), ou le bedeau Bamford (Glen Cunningham ténor bien posé) dans son catalogue de chansons populaires un peu naïves, ou le couple Sweeny Todd et Mrs. Lovett dans leur longue litanie gastronomique et comique sur le qualité gustatives des métiers à la fois critique et comique. Cormac Diamond, dans le rôle de Tobias Ragg, en plus de la très belle qualité de son jeu qui bascule d'une exubérance extravertie à une angoisse rentrée, nous offre également un très beau moment d'émotion presque surnaturel dans la scène de la cuisine où il est enfermé. Zachary Altman assure avec sa voix de baryton-basse en Juge Turpin et nous ne pouvons que regretter que le personnage de Marie Oppert qui incarne la fille de Sweeny Todd n'apparaisse pas plus souvent tant sa voix est pleine de grâce et son timbre de soprano clair et lumineux éclaire cette sombre histoire. 


Sweeny Todd - Stephen Sondheim - Opéra National du Rhin - Photo: Klara Beck


N'oublions pas Jasmine Roy qui incarne avec fougue et engagement le rôle énigmatique de la mendiante. Scott Hendricks dans le rôle titre impose sa forte présence scénique et porte le rôle de ce vengeur en série avec toute les nuances et la détermination qui conviennent à ce personnage. Et Nathalie Dessay, très à l'aise dans le personnage apparemment un peu allumé de la cuisinière, parvient à incarner ce personnage à double faces (voir la transformation, pas seulement dans le passage du noir et blanc à la couleur dans le deuxième acte) pas si simple qu'elle n'en a l'air. Elle assure pleinement un rôle assez conséquent avec brio et ses fans le lui signifient avec éclat.


Sweeny Todd - Stephen Sondheim - Opéra National du Rhin - Photo: Klara Beck


Barrie Kosky nous offre ici une mise en scène dynamique, arrivant à nous faire tenir en haleine parmi les multiples rebondissement de l'action et les surprises - autant dans la mise en scène que dans le décor - et s'appuyant sur une scénographie mobile qui nous permet de plonger au coeur de l'action et au plus près des sentiments de personnages et de leur trajectoire. Il nous emmène entre observation pointue et traits d'humour à nous interroger sur le caractère humain et les travers de la société tout en gardant la tension qui monte ou rebondit dans la succession des événements bien amenés. Il nous prend par les sentiments tout en nous laissant juge de la conclusion qu'il laisse ouverte. 


Sweeny Todd - Stephen Sondheim - Opéra National du Rhin - Photo: Klara Beck


Il faut bien sûr saluer la maîtrise du chef, Bassem Akiki avec l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg et les Choeurs de l'Opéra National du Rhin ainsi que les artists de l'Opéra Studio de l'Opéra National du Rhin, pour la qualité d'interprétation de la musique et la cohérence et l'accompagnement musical presque constant des interprètes et au plus près de leur écoute. Et ce d'autant plus que des airs s'entrechoquent et s'opposent et que la plus douce des chansons accompagne le plus violent des actes. En somme une superbe performance, réunion des extrêmes que ce soient les sentiments ou les personnages, les événements et leurs conclusions. Un opéra qui se transforme en film d'horreur.


La Fleur du Dimanche


Sweeney Todd


Du 17 au 24 juin à l'Opéra du Rhin à Strasbourg

Le 5 et 6 juillet à la Filature à Mulhouse


Distribution
Direction musicale
Bassem Akiki
Mise en scène
Barrie Kosky
Reprise de la mise en scène
Martha Jurowski
Décors, costumes
Katrin Lea Tag
Lumières
Olaf Freese
Chef de Chœur de l’Opéra national du Rhin
Hendrik Haas
Les Artistes
Sweeney Todd
Scott Hendricks
Mrs. Nellie Lovett
Natalie Dessay
Anthony Hope
Noah Harrison
Johanna Barker
Marie Oppert de la Comédie-Française
La Mendiante
Jasmine Roy
Tobias Ragg
Cormac Diamond
Judge Turpin
Zachary Altman
Adolfo Pirelli
Paul Curievici
Beadle Bamford
Glen Cunningham
Solistes de l’ensemble
Camille Bauer, Dominic Burns, Sangbae Choï, Alysia Hanshaw, Bernadette Johns, Michał Karski, Pierre Romainville
Chœur de l’Opéra national du Rhin, Orchestre philharmonique de Strasbourg


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