mardi 18 septembre 2018

La Pomme dans le noir au TNS: Un western au Paradis... du verbe et de la chair

Pour ouvrir la saison 2018-19 au TNS, un roman de Clarice Lispector "Les bâtisseurs de ruines" est adapté et mis en scène par Marie-Christine Sona sous le titre original brésilien "La Pomme dans le noir". 

Vous allez me dire, "Un roman adapté, pourquoi pas du théâtre?" mais c'est bien une représentation théâtrale à laquelle nous assistons à l'espace Grüber. Et la réponse de Marie-Christine Sona dans le livret du TNS est totalement juste:
"Ce qui déclenche mon envie de mettre en scène, c'est d'être transportée par une oeuvre au point de me demander: qu'est-ce qui m'arrive? C'est cette sensation qui me donne envie d'y consacrer un temps de ma vie.
Je m'étais tout de suite dit que le roman pourrait exister au théâtre.
...
Au final, j'ai pensé que oui, le roman pouvait exister au théâtre."


TNS- La Pomme dans le noir - Photo: Christophe Raynaud de Lage

Et l'ingénieuse mise en scène de Marie-Christine Sona fait que c'est le personnage principal du roman, Martin (magnifique interprétation tout au long des deux heures et demie de spectacle de Pierre-François Garel) qui nous conte dans le noien la chuchotant dans l'oreille du spectateur, le début de son histoire et sa fuite, qui l'amène dans le "ranch" de Victoria;


TNS- La Pomme dans le noir - Photo: Christophe Raynaud de Lage

"Un homme, un jour doit avoir une grande colère. Je l'ai eue."

Et nous allons assiter à ce huis-clos à trois: Martin, Victoria et Ermelinda, sous le regard distant du jardinier.
Et c'est de jardinage - intérieur - qu'il va s'agir... Martin va se coltiner la terre - "il portait en lui le grand silence des plantes" - et va, au travers du verbe, se confronter à ces deux femmes et tous les trois vont faire leur chemin dans la vie, dans la connaissance de soi et de l'amour et se révéler à eux-mêmes. Comme la Pomme dans le noir du jardin d'Eden qu'il faut toucher, au fur et à mesure de ce western oral - des échanges de tirs, de silences, de regards et de gestes - une catharsis se fait et chacun se découvre et se révèle à l'instar du film de Pasolini Théorème. Et cette reconquête du vrai et de la parole leur permet de sortir chacun et chacune du mensonge et d'arriver à la révélation (presque mystique) de leur être. 


TNS- La Pomme dans le noir - Photo: Christophe Raynaud de Lage

"Détruire sa vie pour la reconstruire"

Ermelinda - évanescente et fantomatique Mélodie Richard - va s'émanciper de ses rêves. Victoria, solidement campée par Dominique Reymond va révéler ses fêlures et son feu ardent - "la joie doit être un secret". Et Martin en rencontrant son destin, tout en s'oubliant dans un épuisement physique dont on ne s'attend pas au théâtre va se réconcilier avec soi-même tout en "niant l'espérance".

Tout du long, la langue de Clarice Lispector "sensuelle et métaphysique", très bien traduite par Violante Do Canto et incarnée par les magnifiques comédiens nous submerge et nous éblouit et les images de western de Raymonde Couvreu nous font totalement adhérer aux aspects de drame antique qui sous-tendent la pièce. 


TNS- La Pomme dans le noir - Photo: Christophe Raynaud de Lage

"Avant de mourir un homme a besoin de savoir."

Ces révélations, que nous suivons à la fois avec et en dedans des personnages, nous permet de les comprendre un peu mieux - et nous et les autres dans le même mouvement - et d'avoir de la bienveillance - et de l'amour - pour eux et d'oser aussi nous-même nous dire que le chemin est encore à faire.

Et si vous n'avez pas été au théâtre voir un "roman adapté", à le faire de toute urgence...

Bon spectacle

La Fleur du Dimanche 


La Pomme dans le noir

du 18 au 28 septembre 2018

D’après le roman Le Bâtisseur de ruines de Clarice Lispector
Traduction Violante Do Canto
Mise en scène, adaptation et lumière Marie-Christine Soma
Avec Carlo Brandt, Pierre-François Garel, Dominique Reymond, Mélodie Richard
Scénographie Mathieu Lorry-Dupuy
Son Xavier Jacquot
Images Raymonde Couvreu assistée de Giuseppe Greco
Costumes Sabine Siegwalt
Assistanat à la mise en scène Marie Cousseau

Production MC93 — Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis
Coproduction Centre dramatique national de Tours – Théâtre Olympia
Avec le soutien de La Colline – théâtre national, du Théâtre National de Strasbourg, de la MC2: Grenoble

Spectacle créé le 20 septembre 2017 à la MC93
Dominique Reymond est actrice associée au TNS

Le Bâtisseur de ruines est publié aux éditions Gallimard − Collection L’Imaginaire


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