dimanche 8 octobre 2017

Le Quatuor Tana et les Neue Vocalsolisten à Musica : les cendres de Cendo soupirent en soufflant

Encore un samedi après-midi du Festival Musica dans une ambiance d'église, à Sainte Aurélie. Mais cela en valait la peine: Une création de Raphaël Cendo, habitué de Musica par deux quatuors: le Quatuor Tana (Antoine Maisonhaute et Ivan Lebrun au violon, Maxime Desert à l'alto, et Jeanne Maisonhaute au violoncelle) et le quatuor vocal de Stuttgart Neue Vocalsolisten qui ont fait la création mondiale de la pièce Delocazione, un concert à en perdre la tête, tellement il était sublime.

L'idée est de partir de traces et ruines, ou plutôt de l'idée - et de textes qui en parlent et d'en faire, comme le dit Raphaël Cendo: "un rituel, un apprentissage de la poussière et du deuil".

Musica 2017 - Quatuor Tana - Neue Vocalsolisten - Raphaël Cendo - Delocazione - Phot: lfdd

Pour y arriver, des textes de Claude Royet-Journoud, de Rainer-Maria Rilke et de Georges Bataille (sur des récits de rescapés d'Hiroshima) sont dit, expirés, chantés dans une maîtrise totale par le quatuor allemand. Les textes, souvent étirés et triturés dans leur substance même rendent l'âme et deviennent des sons ressurgis de l'abime en phrases poussées dans un soupir, dans un souffle, dans une expiration ultime. Les voix se mêlent à la musique, tirée à l'extrême, en frottements, bribes, traces, souffles, en palimpsestes, éclats, chocs, tension. Les archets (augmentés) des instruments ont d'ailleurs été fabriqués spécialement par le luthier Blaise Emmelin et les deux quatuors arrivent à faire passer cette ambiance de paysage de mémoire, un peu à l'image des créations plastiques d'un Claudio Parmigiani dont Raphaël Cendo s'est également inspiré pour arriver à ce "pur sentir panique du lieu, hors de toute perception, hors de tout savoir de l'espace devenu étouffement et brûlures en acte" comme l'avait exprimé un rescapé de Hiroshima. 

Musica 2017 - Quatuor Tana - Neue Vocalsolisten - Raphaël Cendo - Phot: lfdd

Une catastrophe jouée devant nous, vécue au plus profond de nos sens, qui entre bien en résonnance avec le poème de Rilke (Première Elégie à Duino):

Wer, wenn ich schriee, hörte mich denn aus der Engel
Ordnungen? und gesetzt selbst, es nähme
einer mich plötzlich ans Herz: ich verginge von seinem
stärkeren Dasein. Denn das Schöne ist nichts
als des Schrecklichen Anfang, den wir noch grade ertragen,
und wir bewundern es so, weil es gelassen verschmäht,
uns zu zerstören. Ein jeder Engel ist schrecklich.
    Und so verhalt ich mich denn und verschlucke den Lockruf
dunkelen Schluchzens. Ach, wen vermögen
wir denn zu brauchen? Engel nicht, Menschen nicht,
und die findigen Tiere merken es schon,
daß wir nicht sehr verläßlich zu Haus sind
in der gedeuteten Welt. Es bleibt uns vielleicht
irgend ein Baum an dem Abhang, daß wir ihn täglich
wiedersähen; es bleibt uns die Straße von gestern
und das verzogene Treusein einer Gewohnheit,
der es bei uns gefiel, und so blieb sie und ging nicht.

"Qui, si je criais, qui donc entendrait mon cri
parmi les hiérarchies des Anges ?
Et cela serait-il, même, et que l'un d'eux soudain
me prenne sur son coeur : trop forte serait sa présence
et j'y succomberais.
Car le Beau n'est rien autre que le commencement du terrible,
qu’à peine à ce degré nous pouvons supporter encore ;
et si nous l'admirons, et tant, c'est qu'il dédaigne
et laisse de nous anéantir.
Tout Ange est terrible..."

Terrible programme !

La Fleur du Dimanche

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