mercredi 13 septembre 2017

Le Camion au TNS: Arrêter le cinéma

Duras, Marguerite de son prénom - de fleur - est connue des fidèles lecteurs de ce blog, ne serait-ce que par la chanson d'India Song interprétée par Jeanne Moreau et Hervé Vilar en juillet 2014 (Chanson, toi qui ne veux rien dire) ou par la pièce (pleine d'humour) "Marguerite D." jouée au TAPS en 2015, et, last but not least, la pièce "Le Vice-Consul" , créée au TNS en 2014 pour le centenaire de la vieille dame indigne...  

En ouverture de saison cette année, Duras revient au TNS à Strasbourg avec "Le Camion".
Ce qui a été un film qui, à sa sortie en 1977, a soulevé soit un énorme rejet, soit la qualification de film "de génie" (dixit Jean-Louis Bory), a fait avancer le cinéma et reste une référence. 
C'est, d'après Duras, qui dit comme spectatrice de son film que "la première fois qu'au cinéma on me donne une aussi grande liberté,... la même liberté qu'à la lecture". Parce que - comme elle l'annonçait tout au début de son projet de film - et que cela s'inscrit sur l'écran sur la scène du TNS: 
"Le cinéma arrête le texte, frappe de mort sa descendance: l'imaginaire.
C'est là sa vertu même: de fermer. D'arrêter l'imaginaire.
Cet arrêt, cette fermeture s'appelle: film"  

TNS - Le Camion - Duras - Maine de Missolz - Photo: Jean-Louis Fernandez


Mais, vous l'avez bien noté; il y a un écran sur la scène.... 
Oui, mais sur cet écran, il n'y a pas de cinéma, ce sont des images qui "ouvrent" l'horizon, l'imaginaire, font voyager et se collisionnent avec le texte. Parce que le texte, c'est ce qui va faire le cinéma sur la scène. Parce que le cinéma, c'est le théâtre qui le fait - un peu comme on dirait en allemand "faire du théâtre" qui se traduirait en français par "faire son cinéma".

Le texte du film, transposé sur la scène, prend une autre dimension, devient offrande au spectateur, là où c'était une complicité entre deux "personnages" bien réels, Marguerite Duras et Gérard Depardieu (encore jeune, mais déjà connu et toujours talentueux) qui nous invitaient à "voir" ce qui ne se voyait pas, sur scène, les comédiens (Laurent Sauvage qui dit le texte de Duras et Hervé Guilloteau celui de Depardieu) nous proposent de l'entendre, et d'imaginer doublement les images manquantes. A la fois celle du film absent que nous devons reconstruire et celles qui sont absentes dans le film mais contenue dans le texte. Il faut noter également le superbe travail de Matt Elliot qui a créé une musique qui nous emmène avec elle et nous met totalement dans cette ambiance de voyage mais aussi de passion.

Le jeu de Laurent Sauvage, à la fois doux et tendre, et en même temps magistral sur le déroulement, et celui d'Hervé Guilloteau avec suffisamment de distance mais aussi de décalage, nous laissent les accompagner dans ce voyage. Un troisième larron, Olivier Dupuy, qui prend la place de l'absent, du caché dans le camion nous interpelle et nous rend attentif à ce qu'il va dire, exprimer, dans ce double duo qui soit ne s'écoute pas, soit se laisse mener jusqu'au bout... jusqu'au mot "FIN".

TNS - Le Camion - Duras - Maine de Missolz - Photo: Jean-Louis Fernandez



Et l'on partage l'opinion de Marine de Missolz, qui a mis en scène ce voyage quand elle nous dit: "Je cherche un ton qui se situe à la lisière du lard et du cochon, qu'on ne puisse jamais déterminer si c'est une blague ou si c'est sérieux.. ou les deux à la fois. Comme la vie, c'est à la fois complétement grave et totalement dérisoire... mais sacrément passionnant.  
Donc attendez-vous à de l'humour, pas forcément là où l'on pense le trouver, mais cela peut être dans le texte de Duras, qui n'en manque pas (par exemple : M.D.: Vous voyez ? G.D.: Je vois.) ou dans des surprises de mise en scène qui ramène la lutte des classes au Moyen Age...

Mais bien sûr le texte de Duras reste ancré dans cette période des années 70 où la conscience de classe était vivace. 

Et l'on peut passer d'un trait d'humour (M.D.: Elle parle: elle dit au chauffeur: Vous êtes du parti communiste français ? G.G: "Il lui dit: Cela ne vous regarde pas") à une prise de conscience (M.D. "Et puis un jour elle a vu. C'était l'été. Les pierrots, sur les chars qui entraient à Prague" et à une prophétie (M.D.: Elle dit: Regardez: la fin du monde." - G.D. "Qu'est-ce qu'elle montre?" - M.D. (Temps): "Elle montre la mer") ou un constat d'échec (M.D.: "Elle dit: Que le monde aille à sa perte, c'est la seule politique".


TNS - Le Camion - Duras - Maine de Missolz - Photo: lfdd

Mais tout reste ouvert et l'écran peut contenir tous nos rêves, et l'amour, et la politique, et la réalité. Et dans une sobriété de mots, de phrases, tout est dit, effectivement l'amour, la politique, les relations entre les êtres - ou l'absence de relation - les préjugés et le racisme, la normalité, le passé et le futur. Et quand le mot fin apparait et se fige, rien n'est fini, le travail de la pièce recommence.... 
Il ne s'arrête pas, Le Camion continue son chemin...


Bon Spectacle

La Fleur du Dimanche

LE CAMION

Du 12 au 23 septembre 2017 au TNS Strasbourg
Du 14 au 22 octobre 2017 à la MC93 à Bobigny
Du 17 au 19 avril 2018 au TU à Nantes

LE CAMION

Texte Marguerite Duras
Mise en scène Marine de Missolz
Avec Olivier Dupuy, Hervé Guilloteau, Laurent Sauvage
Collaboration artistique Nicole Deschaumes
Vidéo Tesslye Lopez
Lumière Philippe Berthomé
Musique Matt Elliott

Production Théâtre National de Strasbourg, Compagnie L’Etang donné
Coproduction MC93 - Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, TU Nantes - Scène de recherche et de création contemporaine, Le Lieu unique - Scène nationale de Nantes
Avec le soutien du Conseil régional des Pays de la Loire, du Département de Loire-Atlantique, de la Ville de Nantes et de Grosse Théâtre
Avec le soutien de l’État - DRAC des Pays de la Loire

Laurent Sauvage est acteur associé au TNS
Le décor et les costumes sont réalisés par les ateliers du TNS
Le texte est publié aux Éditions de Minuit


Création le 12 septembre 2017 au Théâtre National de Strasbourg

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