lundi 6 juin 2016

Jan Karski (Mon nom est une fiction): le messager est le message


La pièce "Jan Karski (Mon nom est une fiction)", jouée actuellement au TNS (jusqu’au 11 juin) se base sur le livre (roman) de Yannick Haenel « Jan Karski » paru aux édition Gallimard en 2019. Arthur Nauzyciel l’a créé au festial d’Avignon le 6 juillet 2011.
Le livre de Yannick Haenel; tout comme la pièce ont été sujets à polémique. C’est la première raison d’aller voir cette pièce: faites-vous votre propre opinion. 

Parce que cela en vaut la peine, et également parce que cette histoire (celle de Jan Karski) mérite qu’elle soit connue et entendue. Le premier mérite de l’auteur et du metteur en scène, c’est de présenter cette histoire sous une triple « vision ».
Mais revenons aux faits : « Le roman Jan Karski s’inspire de la vie du résistant polonais qui, en 1942, a réussi à s’introduire dans le ghetto de Varsovie puis dans un camp de concentration. Bouleversé par ce qu’il a vu, il a tenté de sensibiliser (commentaire de lfdd) : plus que cela !) les Alliés au sort des Juifs. Dans son adaptation théâtrale, Arthur Nauzyciel a respecté la construction en trois parties du roman. La première évoque l’entretien accordé par Jan Karski à Claude Lanzmann pour son film Shoah ; la deuxième repose sur son livre « Mon témoignage devant le monde − Histoire d’un État secret », paru en 1944 ; dans la troisième, Laurent Poitrenaux, qui interprète Jan Karski, déploie une parole imaginée par Yannick Haenel. »

C’est cette triple vision qui permet au spectateur de combiner les informations qu’il reçoit, de se les organiser et combiner en aiguisant son regard et en se construisant son histoire, sans oublier l’ »Histoire » avec un grand « H », à la fois, ne pas oublier le génocide, essayer de comprendre quels sont les enjeux des pays, nations, « alliés » dans cette « Grande Guerre » et faire quelques parallèles avec l’actualité (voir l’épisode de la « négociation » du gouvernement roumain de l’époque).
S poser aussi la question de la « représentation », du « récit », du « témoignage », de l’ « engagement », de la mémoire et de l’oubli.
A propos de la représentation, voir entre autre la photographie de la statue en première partie et le sens qui se « recadre » en fonction des mots qui seront dits pendant cet épisode avec des détails qui vont prendre le dessus. Ou les différents « sens » que va prendre le film de l’artiste polonais Mirolsav Balka dans la deuxième partie où Marthe Keller dit le texte du livre de Jan Karski.

Ou encore ce décor d’opéra suranné de la troisième partie qui sera à la fois la « chambre mentale » de la mémoire et le décor idéal pour l’apparition d’un « revenant »  avec ses insomnies et ses cauchemars. Et cette fin en un résumé stupéfaint d’une danse macabre des camps en déroulé – ré-enroulé, comme si le temps était réversible et que le Monde avait une conscience.
Dans cette pièce, il n’est même pas question de se souvenir – encore et encore – mais bien d’entendre ce que l’on vous dit (et ce qu’a dit Jan Karski).

Mais peut-être faut-il le répéter 3 fois (au moins) pour que cela ait des chances d’être entendu (de là à ce qu’on entend se transforme en acte…).
Comme le dit Laurent Poitrenaux (magnifique interprète du « revenant » Karski  dans la troisième partie : « Le livre s’ouvre sur cette question : « Qui témoigne pour le témoin ? »  Comment être « messager », parler de quelque chose que l’on n’a pas directement vécu ? Jan Karski a été un messager non entendu, mais il a fait perdurer une parole. »

Et c’est là l’intérêt de la première partie où le metteur en scène Arthur Nauzyciel lui-même va parler du film de Claude Lanzmann dans lequel la parole de Jan Karski va ressurgir dans toute sa force, même s’il commence par « Je ne veux as y retourner, je n’y retournerai pas ». Mais il y est forcé car comme le disait Paul Celan « Personne ne témoigne pour le témoin ».
Et l’enjeu de la pièce est bien cela, comme le dit Arthur Nauzyciel: "Il faut absolument tenter d’inventer des formes pour rendre compte de cela, et continuer de faire entendre le récit de ce crime à l’échelle européenne qui n’a été possible que parce que le monde a fermé les yeux. Il y a eu un véritable abandon. Et cela continue…".

Pour y arriver, l’équipe s’est immergée dans cet univers, a lu le livre de Haenel et de Karski , et bien d’autres (dont « Ecorces » de Georges Didi-Huberman), vu le film de Lanzmann, visité les camps et le ghetto de Varsovie pendant cinq heures avec une guide « impressionnante »…

Et ils vous proposent  de voir le résultat dans cette pièce parce que comme le dit Arthur Nauzyciel: "Le théâtre me semble être un des rares lieux possibles où évoquer la place du témoin, du messager, le lieu du silence et de l’écoute, où l’on peut raconter à la fois la parole et la défaite de cette parole."

Alors allez-y ! et … écoutez !






Bon Spectacle

La Fleur du Dimanche

Jan Karski (Mon nom est une fiction)
Au TNS à Strasbourg, jusqu’au samedi 11 juin 2016 à 20h00

Auteur : Yannick Haenel
Adaptation et mise en scène : Arthur Nauzyciel
Scénographie : Riccardo Hernandez
Costumes : José Lévy
Lumière : Scott Zielinski
Musique : Christian Fennesz
Regard et chorégraphie : Damien Jalet
Vidéo : Miroslaw Balka
Son Xavier Jacquot
Avec : Manon Greiner, Arthur Nauzyciel, Laurent Poitrenaux et la voix de Marthe Keller

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire